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La chouette vagabonde

Lire, manger, se promener, découvrir... des coups de gueule, voyages, passions, lectures... ou les derniers hôtels dans lesquels je me suis arrêtée; parfois, des recettes de plats régionaux, une fleur qui vient d'éclore ou le presque silence d'un matin qui se lève sur la ville...

11 octobre 2010 : ma tantine est morte hier

Publié le 11 Octobre 2010 par Claudine Bel in Journal

Ma tantine est morte hier.

 

De toutes les tantes que j'ai eues, elle était ma préférée, celle que j'ai le plus côtoyée. Certes, les années étaient là. Mais jusqu'à il y a deux ou trois mois, peut-être moins, elle était encore bien.

 

Bon pied, bon oeil ? Bah, non, plus vraiment : ses jambes étaient de plus en plus mauvaises, ses yeux voyaient de moins en moins bien, et ses oreilles n'en parlons même pas : elle était sourde au point qu'au restaurant on faisait profiter tous les convives de nos conversations. Mais quelle fourchette elle avait encore ! Et quel sens de l'humour !  Elle avait gardé ce petit rire et ce regard coquin et émerveillé d'un enfant qui fait une bonne blague.

 

Pourtant, la vie n'avait jamais été très douce avec elle :

 

Elle était née en 1922, en juin, je crois. Troisième enfant d'une famille qui allait en compter quatre et dont mon papa était l'aîné. Autour de 1930, mon grand-père allait avoir en un an de temps deux graves accidents au boulot, en sidérurgie. Le premier lui paralysa une main, le deuxième lui sectionna quatre doigts de l'autre. Mon papa, alors âgé de 14 ans, pour subvenir aux besoins de la famille et permettre à ses frères et soeurs de faire des études, alla alors apprendre un métier : il serait boucher. Ma tantine, elle, après ses huit années d'école primaire, ira à l'école ménagère, apprendre tout ce qu'une fille de famille modeste doit savoir à cette époque : tenir au mieux un ménage, cuisiner, entretenir le linge de maison, coudre, etc. Mon oncle deviendra gendarme, et leur plus jeune soeur sera la seule à faire de vraies études : l'école normale, pour devenir institutrice.

 

Comme beaucoup de jeunes filles de cette région et de cette époque, tous les matins ma tantine prendra le train à Pétange pour se rendre en atelier de couture à Luxembourg, soit à environ 25 km. Puis la guerre éclate... et s'éternise. De cette époque, je ne sais pas grand-chose, si ce n'est que les jeunes de la région se connaissent un peu tous, que les filles présentent leurs frères à leurs copines, que des petits bals de villages ou les fêtes foraines leur permettent de se rencontrer, etc. Les années difficiles les ont sans doute rapprochés. C'était l'époque de la débrouille, des peurs, des tristesses. Mon oncle fut prisonnier durant cinq ans en Allemagne, mon papa grièvement blessé et laissé pour mort sur le champ de bataille. Toutes ces épreuves, chacun les vécut au plus profond de sa chair.

 

Plus tard, ma tantine épousera Josy, un brave gars pas très intellectuel mais très travailleur. Les pauses de 16 heures à l'usine ne l'effrayeront jamais. Ils auront deux enfants, une fille puis un garçon. Ma cousine, malheureusement, mourra à l'âge de 13 ans d'une infection à son rein unique. Mon cousin, grand prématuré, sera dyslexique grave, mais espiègle à souhait. Plus tard, après encore bien des épreuves que je ne vais pas ici énumérer, ma tantine accompagnera son mari durant de longues années dans la maladie : leucémie.

 

Ma tantine s'est éteinte hier. Ses reins étaient fatigués, tout comme elle. Elle est enfin allée rejoindre ceux qu'elle aimait et qui lui manquaient...

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